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Les grands frères de Zyed et Bouna se confient dans un livre

par Redaction

Dix ans après le drame qui a déclenché la révolte des banlieues, la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois, leurs frères se confient dans un livre. Sortie le 1er octobre.

Un récit intime

Siyakha Traoré et Adel Benna, 31 et 39 ans, font face, ensemble, depuis dix ans au drame qui a touché leur famille. Les deux adolescents de 15 et 17 ans sont décédés le 27 octobre 2005, électrocutés dans un transformateur EDF à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).

Agitées durant trois longues semaines par des émeutes sans précédent, ce drame fut l’étincelle qui mit le feu aux banlieues cet automne-là. En mai dernier, au terme d’une procédure judiciaire interminable, deux policiers, mis en examen pour « non-assistance à personne en danger », ont finalement été relaxés.

C’est alors dans « Zyed et Bouna, avec Gwenael Bourdon », journaliste à l’édition de Seine-Saint-Denis du « Parisien », que les frères endeuillés ont raconté leur histoire, celle de familles dont la tragédie intime est devenue drame nationale, dans un ouvrage de 271 pages. Ils expliquent leur démarche auprès du « Parisien ».

L’interview

JOURNALISTE PARISIEN. Comment est née l’idée de ce récit ?

SIYAKHA TRAORÉ. Il fallait dire nos émotions, ce qu’on a vécu. Bouna et Zyed sont décédés, à nous de les faire vivre. J’avais cette idée en tête et Gwenael Bourdon est venue me proposer de l’écrire, avec Adel. Je ne pouvais pas me défausser : nos deux familles sont liées depuis dix ans, on a toujours avancé ensemble.

J.P. Cela fera dix ans à la fin du mois, pourquoi ne pas avoir parlé avant ?

S.T. Il fallait attendre la fin de l’affaire judiciaire, ce procès qui s’est malheureusement terminé par une relaxe. Et c’est vrai que j’ai hésité. Dans ma famille, on a des principes. Il n’était pas question de faire de l’argent sur le dos des morts.

J.P. Qu’avez-vous ressenti quand vous avez eu le livre en mains ?

S.T. On ne peut qu’être fiers. Face aux médias, la parole a toujours été limitée. Là, même dans un livre, je me dis parfois que je n’ai pas tout dit, ou pas assez. Mais l’important, c’était de raconter notre histoire.

ADEL BENNA. Je suis content que ce soit fait pour laisser une trace. Il ne faut pas oublier ce qui est arrivé.

J.P. A qui vous adressez-vous ?

S.T. A la France entière, parce que ça a été un drame national. J’espère que le lecteur se dira : « Ce que je suis en train de lire, ce n’est pas ce que j’ai vu à la télé à l’époque. » Il y a eu les émeutes et plein de récupérations politiques. Certains ont vendu du rêve sur notre cauchemar. Mais il y avait aussi des familles dans le chagrin, auxquelles on avait promis transparence et justice. En fait, il y en a eu pour dix ans et ce sont elles qui ont pris cette peine-là.

A.B. Plein de gens pensent encore que Zyed et Bouna étaient des délinquants. Ils n’ont retenu que la première version. On se souvient comment ont réagi les politiques, c’était mettre le feu aux poudres. Le livre s’adresse aussi à mes enfants qui vont grandir et demanderont ce qu’il s’est passé en 2005. Il montre que l’égalité et la justice sont des idéaux qui ne sont pas encore atteints.

J.P. Ce récit, c’est une façon de régler vos comptes avec la police ?

S.T. Pas du tout, je n’ai pas l’esprit revanchard. On ne va pas mettre tous les policiers dans le même panier, comme on ne veut pas les laisser y mettre tous les jeunes. Je veux juste faire prendre conscience de notre vécu.

A.B. Mon frère est mort et enterré, rien ne le fera revenir. Quand on a porté plainte, ce n’était pas dans l’espoir de la condamnation des policiers, on attendait au maximum des excuses. C’était surtout pour que des leçons soient tirées de tout ça, que les regards sur les quartiers changent.

J.P. Comment avez-vous traversé ces dix ans ?

S.T. Très vite, j’ai dû prendre des responsabilités. Chez nous, il y a de la pudeur. J’ai dû représenter la famille auprès des médias, du monde judiciaire. Tout est allé très vite : il y a eu les émeutes, je ne réalisais pas. On a pris sur nous pour appeler au calme : il fallait que la France s’apaise. Depuis, on essaie d’avancer, mais ce drame m’a forgé.

A.B. Pour nous, ce n’est pas possible de tourner la page. On souffre toujours. J’étais plein d’espoir en arrivant en France (NDLR : en 2004), mais, aujourd’hui, même ma femme, qui y a toujours vécu, veut la quitter. Elle m’a dit : « C’est pas la France telle qu’on l’apprend à l’école. Alors on va s’installer en Tunisie. »

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