Bernard Cazeneuve multiplie les mesures exceptionnelles de déchéance de la nationalité française contre des personnes qu’il qualifie de « terroristes ». Le 22 septembre dernier c’était un certain Ahmed Sahnouni qui a été expulsé vers le Maroc pour les mêmes accusations. Il réitère cette mesure inédite, pour le moins surprenante contre cinq français de confession musulmane. Fouad Charouali, Rachid Aït El Hadj, Bachir Ghoumid, Redouane Aberbri et Attila Turk ont déposé un recours devant le Conseil d’État, ont indiqué à l’AFP leurs avocats Elisabeth de Boissieu, Jean-Pierre Spitzer et William Bourdon.
Une mesure « disproportionnée » et « démagogique »
Le 06 octobre dernier, Bernard Cazeneuve annonçait lors des questions au gouvernement à l’Assemblée Nationale avoir entamé une procédure de déchéance de la nationalité française envers cinq hommes, quatre d’origine marocaine, un d’origine turque.
Le 14 et 15 octobre, le couperet tombe. Bernard Cazeneuve adopte un décret : « J’ai présenté au Premier ministre une décision de déchéance de cinq nationalités concernant des terroristes, et je poursuivrai avec la plus grande détermination cette politique. »
Une décision qui ruine la vie de cinq personnes d’un seul coup, une injustice flagrante qui rappelle les pages les plus sombres de l’histoire française.
Cette mesure est possible contre les binationaux lorsqu’il est porté atteinte aux « intérêts fondamentaux de la nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme. » (art. 25.1). En l’occurrence, cela concerne l’attentat de Casablanca du 16 mai 2003, qui a fait 45 morts dont trois français. Les autorités françaises bafouent le droit et les lois en vigueur pour leur imputer une responsabilité dans cette attaque et construire de toute pièce un scénario les incriminant dans une affaire dont ils nient avoir participé, ni de près, ni de loin.
Les cinq hommes, âgées de 38 à 41 ans, avaient déjà été condamnés en 2007 à des peines de six à huit ans d’emprisonnement pour leur « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste » sur la base de l’enquête marocaine. On leur reproche un lien plus ou moins partiel avec le groupe islamique combattant marocain (GICM), liés aux responsables des attentats de Casablanca (Maroc). Ils auraient été dénoncés à tort par un ancien imam de Mantes-la-Jolie.
« Cet imam, expulsé depuis au Maroc, les a dénoncés sous la torture et ce qu’il a dit est faux », plaident maîtres Spitzer et Bourdon. Les déchus déplorent une véritable « chasse aux sorcières ».
Ils avaient été libérés en 2009 et 2011.
Ces pères de famille, bien insérés dans la société, dénoncent aujourd’hui une double peine, une mort sociale et « une destruction de famille » en cas d’expulsion.
« Présumé français »
Ils ont décidé de créer un comité « présumé français » pour faire connaitre leur histoire et dénoncer un abus de pouvoir de l’Etat français, 12 ans après les faits. Une double peine sept ans après que la justice française ait reconnue qu’ils n’avaient jamais participé à une entreprise terroriste et que l’enquête française n’ait rien découvert contre eux à ce sujet. « Cette affaire a plus de dix ans, c’est dément de mettre ça en avant pour justifier cette déchéance, on nous fait passer pour des terroristes » a notamment déclaré Redouane Abderbi.
Ils se présentent comme cinq bons pères de famille « rangés et réinsérés ». Ils travaillent tous depuis leur sortie de détention : l’un est électricien, un autre vendeur, un troisième, technicien de maintenance, et les deux derniers vendent des voyages dans la même agence. Tous leurs enfants sont nés Français. Ils se retrouvent aujourd’hui en situation irrégulière sur le sol français, sans titre de séjour pour travailler et menacés d’expulsion vers le Maroc et la Turquie.
Lors de la conférence de presse tenue jeudi dernier, leurs avocats ont dénoncé « l’incroyable disproportion » entre « l’extrême gravité » des décisions de déchéance et « la réalité des faits reprochés ». Indignés du « procédé ayant consisté à informer la presse des décisions intervenues avant même que les intéressés n’en reçoivent signification, marquant là ainsi le caractère à tout le moins démagogique et pour le moins politique des décisions critiquées . »
La déchéance fait partie de l’arsenal -loin d’être légal- déployé par le gouvernement pour prétendument lutter contre le terrorisme. D’autres déchéances pourraient suivre, selon une source policière, notamment les personnes qui font l’objet d’une fiche « S » de renseignement. Ils seraient 5000 personnes à être ainsi répertorier en France.
Un recours devant le Conseil d’Etat
Fouad Charouali, Rachid Aït El Hadj, Bachir Ghoumid, Redouane Aberbri et Attila Turk ont saisi le Conseil d’État. Un recours en excès de pouvoir contre la décision du 7 octobre 2015 ainsi qu’un recours d’urgence pour suspendre les effets de la déchéance » ont été déposés lundi au greffe du Conseil d’État », ont indiqué leurs avocats Mes Elisabeth de Boissieu, Jean-Pierre Spitzer et William Bourdon. Ce dernier affirme « il n’y a aucun élément qui puisse justifier que depuis leur liberté, ces jeunes gens auraient pu avoir des proximités coupables » et appelle Bernard Cazeneuve à « ne pas céder à la dictature de l’émotion. Il en appelle solennellement aux autorités françaises pour ne pas exécuter ce qui a été décidé dans la précipitation » .
Ils sont déterminés à se battre et comptent également sur le soutien ou l’expertise de tous ceux qui reconnaîtront l’injustice dont ils sont victimes.