Nous assistons à un conflit de tous les paradoxes. La Russie participe depuis un mois à un bombardement massif de la Syrie, l’Iran annonce officiellement la mort d’une quinzaine de soldats d’élites sur le sol syrien, les Américains et leurs alliés pilotent une coalition internationale contre l’EI et soutiennent en même temps certains rebelles syriens ennemis du régime et Bachar El Assad « promet » la tenue des élections si le pays était libéré de « l’EI ». Les « rebelles » se demandent qui les soutient encore aujourd’hui.
Le bal des bouchers
Le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius a réuni Paris mardi 27 octobre ses partenaires occidentaux et moyens orientaux autour d’un diner de travail consacré à la crise syrienne. Une réunion au cours de laquelle la Russie et les Etats-Unis sont tombés d’accord pour que l’Iran puisse assister à la deuxième conférence internationale sur la Syrie prévue vendredi 30 octobre à Vienne, en Autriche :
L’Iran sera prié d’y participer. Il appartient maintenant aux dirigeants iraniens d’en décider », a déclaré John Kirby, le porte-parole du secrétaire d’Etat américain, d’après le journal Le Monde.
Une proposition venant, tout vraisemblablement de la Russie, alliée de l’Iran, et avec l’accord de son rival saoudien, représenté par le Ministre des affaires étrangères également présent au diner parisien.
Le quai d’Orsay, qui tantôt affiche son opposition au régime de Damas, tantôt à la progression des rebelles s’aligne sur les objectifs des Américains et des Russes de parvenir à une clarification lors de la réunion élargie du 30 octobre avec l’objectif répété de John Kirby de parvenir à un : « cadre multilatéral nécessaire à une transition fructueuse en Syrie qui permette la formation d’un exécutif dont Bachar Al-Assad ne serait pas le chef ». Même si Washington et Moscou reste fondamentalement divisé sur le sort du président syrien : « Malgré ce qu’ils disent, je crois que les Russes ne voient pas Assad dans l’avenir de la Syrie », a estimé mardi le chef de la CIA.
« La question est à quel moment et comment ils vont être capables de l’amener (Assad) à sortir de la scène », a-t-il dit.
L’invitation de l’Iran est un tournant dans ce conflit à la prochaine conférence. Cela fera-t-il évoluer la donne ? Une présence qui confirme, en tout les cas, que l’Iran joue un rôle majeur dans ce conflit. Un rôle que Téhéran veut assumer et affirmer.
Les bombardements continueront
Aucun des va-t-en-guerre de cette assemblée ne s’est pourtant prononcé en faveur d’un arrêt des attaques aériennes sur la Syrie. Les Etats-Unis ont réaffirmé leur volonté d’intensifier leurs attaques : « Nous prévoyons d’intensifier notre campagne aérienne, y compris avec des appareils supplémentaires de la coalition et des Etats-Unis, pour cibler l’EI avec des frappes plus nombreuses et plus fortes », a déclaré mardi le ministre de la Défense, Ashton Carter, devant la commission des forces armées du Sénat. « Nous ne nous interdirons pas de soutenir des partenaires capables de mener à l’occasion des attaques contre l’EI, ou de mener ces missions nous-mêmes, que ce soit par des frappes aériennes ou des actions directes au sol ».
L’intervention militaire russe depuis un mois est décrite par beaucoup d’observateurs et de témoins sur place comme d’une descente aux enfers qui accentue encore un peu plus le désespoir de la population. La ville d’Alep sévèrement bombardée se vide de sa population l’obligeant à fuir le Sud de la ville pour tenter de se réfugier au Nord : « Le secteur sud de la province d’Alep est sans cesse pilonné. Une pluie de frappes ininterrompues, 24 heures sur 24! Le ciel est encombré d’avions de combats, d’hélicoptères qui volent à très faible altitude. Impossible de savoir qui, des Russes ou des Syriens, nous tirent dessus. Les gens ont peur, terriblement peur ».
L’Arabie Saoudite qui ne déroge pas à ce constat de politique paradoxale et mortifère dont pâtit la population syrienne, est contrainte de reculer depuis les attaques massives de la Russie. Les rivalités régionales qui opposent l’Arabie Saoudite et l’Iran seront ainsi au cœur des discussions de la prochaine réunion. Téhéran apporte un soutien militaire et politique au régime d’Assad alors que l’Arabie Saoudite soutient certains groupes rebelles. Les Etats-Unis ont pour l’heure changé de cap après avoir négocié et obtenu l’aval de Riyad pour parvenir à une « transition politique en Syrie »…
Un conflit qui oppose en somme deux grandes puissances historiques comme l’a fait remarqué à juste titre Kofi Annan qui pense qu’une solution est désormais possible si la Russie et les Etats-Unis parvenaient « à travailler ensemble ».