Après avoir reçu une invitation inattendue ce mercredi 20 janvier de la part du ministre de l’intérieur, Younous Omarjee, député européen, a décidé de répondre à Bernard Cazeneuve par écrit en lui envoyant une lettre qu’il ne sera pas prêt d’oublier.
Younous Omarjee écrit :
« Monsieur le Ministre,
J’ai reçu ce mercredi 20 janvier une invitation de la Préfecture de la Réunion à la demande de votre ministère relative à une réunion devant se tenir vendredi 29 janvier pour aborder la prévention de la radicalisation, les troubles suscités par les jeunes radicaux dans la gouvernance des lieux de culte, et l’éducation religieuse des jeunes.
L’invitation que j’ai reçue ne faisant aucune référence à ma qualité d’élu, j’ai contacté le cabinet du Préfet pour savoir à quel titre j’avais été convié à cette réunion. Je me suis trouvé profondément choqué que l’on me réponde que je l’étais en ma qualité, présupposée par les services de l’État, de « Français de confession musulmane », et au titre de la représentation politique, et de me trouver ainsi listé. S’il paraît normal pour cette réunion que vous conviez les représentants de certaines organisations cultuelles et culturelles, en leur qualité de représentants du culte musulman, il en va d’un ordre tout à fait distinct pour l’ensemble des autres citoyens ou élus invités.
Les croyances ou convictions religieuses de chaque citoyen sont de l’ordre de l’intime et nul n’est en capacité ni en droit de catégoriser un citoyen sur ces bases. Nous n’appartenons qu’à une seule communauté, celle de la République. En tant que député européen, je refuse catégoriquement d’être considéré comme « député musulman ».
Notre cadre républicain et l’article 1er de notre Constitution, imposent je crois à l’État et à ses représentants que, pour de telles réunions, l’ensemble des participants soit invité sur la seule base de leur appartenance à la communauté nationale. À l’exception bien entendu des représentants des cultes et organisations représentatives invitées en tant que tel. C’est un manquement grave.
Puisqu’aucun élu non présupposé musulman ne s’est trouvé invité à cette réunion, est-ce à comprendre qu’il existe des listes d’élus présupposés musulmans et un principe qui veuille désormais que l’on désigne ces derniers pour discuter de certains type de problèmes ? Et catégorisé ainsi, dois-je m’attendre à être de fait disqualifié pour participer aux réunions attelées aux problèmes qui se posent au sein de la République avec les catholiques, les athées, les juifs ou les bouddhistes de France ?
Les critères qui se sont trouvés appliqués et qui m’ont été retournés, ne sont en rien compatibles avec l’esprit de nos lois et de notre Constitution.
Vous savez, Monsieur le Ministre, combien je partage l’objectif de lutter contre toutes les formes de radicalisation. C’est dans cet esprit-même que j’ai voté en faveur du rapport de Rachida Dati sur cette question. Si j’avais été invité en tant que parlementaire, aux côtés de mes collègues, à prendre part à ces journées, c’est bien volontiers que j’aurais accepté d’y participer. Mais je refuse d’y participer parce qu’ayant été de fait listé comme « Député de confession musulmane ». Autant que je refuse catégoriquement d’être considéré par l’État comme « Député musulman ».
L’État a le devoir d’accorder une attention rigoureuse au respect des principes républicains pour ne pas fragiliser la cohésion nationale. Et dans cette lutte communément partagée contre toutes les formes de radicalisation, ce n’est pas en catégorisant et en listant des citoyens ou des élus comme appartenant à des communautés que l’État se fait le socle et le garant d’une République commune à tous, une et indivisible.
Je vous pose, Monsieur le Ministre, l’ensemble de ces questions avec la plus grande gravité. Le gouvernement s’offusquait il y a peu de voir qu’en certaines Mairies de France des listings d’enfants inscrits dans les écoles de la République furent dressés pour identifier ceux présupposés de confession musulmane. Si la République en est venue elle-même à segmenter ainsi en présupposées communautés de croyances ses citoyens et ses élus, alors la brèche est rompue. Croyez bien qu’il ne m’est pas agréable de rappeler aux services de l’État des principes dont il lui revient la charge de les faire vivre.
Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, cher Bernard Cazeneuve, en l’expression de ma haute considération,
Younous Omarjee,
Député européen,
Chef de la délégation française GUE/NGL »