En Tunisie, depuis la fin de la révolution, les choix vestimentaires de femmes désireuses par principe religieux de se couvrir intégralement divise la population. Face aux défenseurs des libertés individuelles et aux représentants de courants religieux aspirant à faire appliquer la charia* de façon parfois stricte et peu consensuelle, se dressent des groupes de population hostiles à ce prémisse de mutation sociétale.
Un rejet violent
Plusieurs jeunes filles se sont vues refuser l’admission en faculté en raison du port du niqab. Et ces interdictions ont entraîné l’intervention musclée de jeunes bien décidés à ajouter aux revendications vestimentaires la demande de construction d’une mosquée dans l’enceinte universitaire. Ces blocus ont, l’an dernier, paralysé le cursus de nombreux étudiants étrangers à la polémique, et suscité de vives réactions au sein de l’opinion publique… creusant ainsi un peu plus le fossé entre « pro et anti niqab ».
D’autre part, une campagne anti-niqab a été menée par l’association Égalité et Parité pour « sensibiliser les Tunisiens sur la complexité et la gravité de la situation » . Cependant, lorsque certains parlent « d’aliénation des libertés sous un prétexte religieux » ou de risque de « nier la visibilité des femmes dans la sphère publique » , d’autres s’appuient justement sur ces fameuses liberté et égalité de l’individu pour rappeler le droit de chacun de porter l’habit qu’il souhaite et craignent qu’interdire le port du voile intégral soit une atteinte aux droits fondamentaux de l’être humain.
Est-il fondé ?
On est en droit de se demander si l’argument de l’attachement aux valeurs et habits traditionnels du pays est tout à fait solide et fondé. En effet, force est de constater qu’au cours des dernières décennies, la garde-robe des Tunisiennes a considérablement évolué.
Ainsi, le sefseri, long voile blanc traditionnel cachant tout du corps féminin à l’exception du visage et des mains, a peu à peu laissé place, sous l’influence d’évolutions économique et législative fortement inspirées du modèle occidental, aux habits dits modernes, souvent très éloignés des convenances musulmanes et donc de l’héritage culturel du pays.
Notons également que l’ampleur des réactions face au phénomène contraste avec la petitesse du nombre de femmes voilées intégralement. Seulement voilà, il serait malhonnête de nier qu’une minorité présumée « salafiste » fait énormément parler d’elle et mise trop souvent sur la violence pour tenter d’imposer une ligne de conduite subjectivement décente… nul besoin de s’appesantir éternellement sur le blocus de l’Université de Manouba, ou le passage à tabac d’un élu franco-tunisien à cause des tenues jugées trop légères de ses femme et fille.
Que craint-on ?
La peur pour certains d’une régression en matière de droits et libertés individuels doit être entendue et prise en considération, faire l’impasse sur les inquiétudes des uns et des autres ne peut donner lieu qu’à une incompréhension mutuelle, gelant ainsi toute possibilité d’entente future. Il en va de même pour le regret d’autres Tunisiens de ne voir, en terre musulmane ancestrale, la vie de ses habitants régie par des normes doctrinales, sociales, culturelles, et relationnelles édictées par la révélation coranique. Il semble essentiel d’instaurer un dialogue, tentant de ne laisser se déchaîner les passions de part et d’autre, et évitant de succomber à l’appel d’une généralisation idiote et insensée. À l’extrémisme de l’obligation du suivi de règles, aussi religieusement fondées soient-elles, s’oppose l’extrémisme de la condamnation et du refus systématiques de celles-ci.
Selon certains journalistes, l’influence de la mouvance salafiste et sa connivence supposée avec le parti Ennahdha au pouvoir, entraînerait à long terme l’élimination de l’égalité homme-femme et attaquerait tout un pan de la modernité qui caractérisait le pays et son évolution sociétale depuis le XIXe siècle… ainsi donc (excusez le raccourci tentant) le droit de se déshabiller serait le comble du moderne ?
Vivre ensemble
Il paraît évident qu’au vu de son passé, une interversion radicale des coutumes et paysages vestimentaires du pays a peu de chance de voir le jour. Hors, l’omniprésence de cette question (et plus généralement de la montée du salafisme) dans les débats sociaux, culturels et politiques semblent permettre à certains responsables d’éluder d’autres problèmes nécessitant une attention plus particulière. De plus, il va de soi que toute société est en constante mutation et chercher à l’étouffer ne mène généralement à rien.
Pourquoi songer à la disparition d’une coutume ou à une régression lorsqu’une cohabitation est plus sage et respectueuse des préceptes de la religion commune à la plupart des partis ?
N’est-ce pas contradictoire de constater qu’en réponse à ce que certains considèrent comme une déviance due à un manque de jugement et de culture, l’on prenne la décision d’interdire aux personnes mises en cause l’accès à l’instruction ? Il va de soi que chacun relèvera le paradoxe….
Et rappelons également qu’un bout de tissu, aussi long et sombre soit-il, n’a jamais empêché quiconque de prendre parole et position publiquement… le porter étant de surcroît le reflet d’un choix parfaitement assumé.
* ensemble de lois édictées par le Coran et inspirées des traditions prophétiques